5e Journée TechniqueInnovation et évolutions des pratiques

Paris - 19 juin 2018

Cécile Laithier

« Mesurer la fromageabilité des laits en routine pour mieux la maîtriser »

Comment évaluer la fromageabilité et sur quels leviers peut-on agir pour la maîtriser ? Cécile Laithier (Institut de l’Elevage) détaillera les premiers enseignements du programme FROMMIR, qui s’achèvera fin juin 2018.

- FROM’MIR avait pour ambition fondamentale d’estimer la fromageabilité des laits à partir de leur composition grâce à la spectrométrie moyen infrarouge (MIR). Y est-il parvenu ?
CL : Globalement, oui. Cette technologie est déjà utilisée pour le paiement du lait et le conseil en élevage, ainsi que dans certaines grandes entreprises et dans le monde de la recherche. Si l’outil est disponible, estimer une autre composante engendre peu de coût supplémentaire et la méthode donne des résultats rapides et fiables en temps réel.
La grande nouveauté est que l’on arrive aujourd’hui, à la suite des travaux de FROM’MIR, à mieux faire parler ces analyses et ces données spectrales, en estimant la fromageabilité à partir de ces spectres. En confrontant, via des modèles statistiques des données de référence obtenues au laboratoire sur la fromageabilité et les données spectrales, des équations d’estimation de la fromageabilité ont pu être établies sur deux modèles fromagers : les pâtes molles et les pâtes pressées cuites.
Les mini-fabrications auxquelles le programme a procédé pour valider les résultats obtenus montrent la pertinence et la justesse de cette approche, tant pour les rendements fromagers que pour l’aptitude à la coagulation.

- Comment s’est déroulé le programme ?
CL : Trois critères ont été évalués en laboratoire : le rendement fromager, l’aptitude à la coagulation enzymatique et l’aptitude à l’acidification (par les bactéries lactiques). L’analyse des deux derniers critères a été menée sur deux modèles : pâtes molles et pâtes pressées cuites. Les travaux ont porté sur des laits individuels (au niveau de l’animal) et de mélange (au niveau du troupeau et de la cuve de fromagerie). Il convient de préciser que le programme a été conduit en zone AOP/IGP de Franche-Comté, sur des laits de Montbéliardes, mais avec l’ambition de pouvoir bénéficier à d’autres filières laitières.

- Est-il aussi pertinent pour les laits individuels que pour les laits de mélange ?
CL : Les résultats sont probants sur des laits individuels, pour le rendement et l’aptitude à la coagulation enzymatique. Dans une moindre mesure, il en est de même pour certains paramètres de fromageabilité à l’échelle des laits de troupeaux. En revanche, au niveau des laits de cuve, les résultats ne sont pas totalement concluants. Il conviendrait notamment d’acquérir plus de données à cette échelle, ce qui n’était pas prévu dans l’échantillonnage initial.

- Quels sont donc les facteurs de variabilité de la fromageabilité ? Et les leviers que l’on peut actionner pour l’améliorer ?
CL : De nombreux facteurs entrent en ligne de compte : la génétique animale, les pratiques d’élevage, les modes de collecte du lait… Par exemple, la fromageabilité des laits varie selon que l’on a affaire à des animaux primipares ou multipares, selon les stades de lactation, selon la qualité des fourrages,
Tous ces facteurs interfèrent sur la composition du lait. Au-delà du taux protéique et du taux butyreux, utilisés communément comme prédicteurs de la qualité des laits, nous confirmons l’impact d’éléments plus fins comme la structure des micelles de caséines (taille des micelles) et l’importance de la composition en minéraux (calcium notamment).
Dans le contexte franc-comtois où a été mené le programme (pratiques de collecte et de mélange des laits relativement homogènes), ce sont surtout les pratiques d’élevage et la génétique qui constituent les facteurs d’influence et, par conséquent, les principaux leviers

- A l’avenir, que peuvent changer ces travaux de recherche sur le terrain ?
CL : Une indexation génétique de ces critères est possible. Avoir accès à la valeur génétique des vaches laitières permettra de prendre en compte les objectifs liés à la fromageabilité dans la stratégie de réforme et/ou sélection des génisses. Si des index « fromageabilité » sont diffusés pour les taureaux, l’intégration de nouveaux critères dans les plans d’accouplement pourra être réalisée pour un progrès génétique d’une génération à l’autre.
Outre la génétique, d’autres leviers de pilotage à l’échelle du troupeau sont utilisables et intègrent la maîtrise de la qualité des fourrages et du niveau d’ingestion des animaux, ainsi que la prévention de troubles métaboliques sur la fromageabilité des laits.
Les estimations de la fromageabilité à l’échelle des vaches et des troupeaux pourront servir de base de travail au fromager pour mieux comprendre ce qu’il se passe dans sa cuve et anticiper des adaptations technologiques. De la même façon, le fromager qui observe des évolutions de fromageabilité lors des fabrications pourra interroger les éleveurs sur leurs données de fromageabilité.

- Peut-on imaginer que, demain, des critères de fromageabilité seront pris en compte pour le paiement du lait ?
CL : Techniquement, c’est envisageable mais, pour le moment, la volonté en Franche-Comté est d’utiliser l’outil MIR comme un élément de dialogue entre la production laitière et la transformation. •