Interview de Jean-Louis Piton, président du Conseil permanent de l’Inao

« En finir, enfin, avec l’usurpation de l’AOP camembert de Normandie »

Il y a deux ans, vous demandiez à la filière normande de mettre fin à l’existence du « camembert fabriqué en Normandie », sous peine de régler le problème à sa place. Aujourd’hui, aucun compromis n’a pu être trouvé, le projet de grande AOP est enterré, et c’est la Répression des Fraudes qui est désormais invitée à faire appliquer la loi. Etes-vous satisfait de cette issue ?
JLP : Oui, car elle doit permettre d’en finir avec l’usurpation de l’AOP. Il y a deux ans, deux voies étaient possibles. La première, celle qui a été explorée ces deux dernières années, était la recherche d’un compromis, avec une concession de taille, qui a suscité beaucoup de critiques : que l’AOP puisse se doter d’une version au lait pasteurisé. C’était une voie courageuse, mais les Normands n’ont malheureusement pas réussi à aller jusqu’au bout. La seconde était plus dure, c’est la voie judiciaire. Nous y viendrons si les opérateurs ne se mettent pas désormais en règle.

- Quelle est la prochaine étape ?
JLP : Dans les jours ou semaines à venir, les ministères de l’Agriculture et de l’Economie vont émettre un « avis aux opérateurs », leur enjoignant de ne plus utiliser le terme « fabriqué en Normandie ». Avec, comme c’est l’usage, un délai de quelques mois pour leur laisser le temps d’écouler leurs stocks d’étiquettes et d’emballages. S’ils refusent, les autorités se tourneront alors vers le tribunal correctionnel et nous nous porterons partie civile.

- Il y a plus de 30 ans que l’AOP et le « fabriqué en » coexistent, avec l’accord tacite de la Répression des Fraudes. A quel niveau de l’Etat a été prise la décision d’agir ?
JLP : Au niveau de l’Inao, tout d’abord, lorsque nous avons décidé de régler le problème. Puis ce sont les cabinets ministériels concernés qui se sont mis d’accord sur cette voie-là, à la suite de l’échec du projet de « grande AOP ». J’ajoute que, parallèlement, l’Union européenne, questionnée par des Etats avec lesquels nous avons des accords bilatéraux sur la protection des signes de qualité, le Japon notamment, a enjoint la France de régler le problème sous peine de lourdes pénalités financières.

- Le « fabriqué en » a vu son existence consacrée par le cahier des charges même de l’AOP et bénéficie d’une longue historicité d’usage. Ne redoutez-vous pas qu’un juge puisse y voir une forme de droit acquis ?
JLP : C’est un risque et la procédure sera très longue, mais notre mission est de nous battre jusqu’au bout contre les usurpations. Si un juge donne tort à l’AOP, l’association des termes camembert et Normandie deviendra générique et ne pourra plus être protégée. Les gestionnaires de l’AOP auront alors le choix entre laisser les choses en l’état sans vraie protection, ou envisager un autre nom. Mais, dans tous les cas, la situation conflictuelle que nous avons à résoudre dès aujourd’hui fera qu’une partie de la Normandie sera perdante, c’est dommage.

- On voit déjà apparaître sur le marché du « Camembert au lait de Normandie », du « fromage blanc au lait de Normandie »… Ces dénominations sont-elles légales ?
JLP : Ce qui est aujourd’hui en cause, c’est l’association des termes « camembert » et « Normandie », qui doit être réservée à la seule AOP. Associer le terme « Normandie » à d’autres produits laitiers n’est pas du même ordre et reste un vrai sujet de questionnement et d’une grande complexité juridique.

- Le fait d’autoriser une AOP 100% lait cru à se doter d’une déclinaison au lait pasteurisé était une première. Cette mesure allait à l’encontre de la doctrine mise en place par l’Inao ces dernières décennies. Si demain, un ODG demande cette possibilité à l’Inao, cela sera-t-il envisageable ?
JLP : Non. Nous avons laissé cette possibilité au camembert de Normandie en raison de la complexité du dossier. Et nous ne créerons pas à l’avenir de nouvelles AOP au lait pasteurisé. Ce n’est clairement pas l’orientation du Comité National concerné. ◼