Eric Notz
Comté, ce qu’a changé la prématuration à 12°C
Eric Notz, directeur du Centre technique des fromages comtois, explique comment la filière comté a opté pour la prématuration à 12 degrés pour maintenir la flore microbienne d’intérêt responsable de la qualité du fromage
La filière comté a généralisé en 2013 le principe de stocker le lait avant l’emprésurage à une température comprise entre 10°C et 18°C (le plus souvent à 12°C) et non plus à 4°C. Quels sont les facteurs qui ont présidé à ce choix ?
La filière assistait à une baisse progressive des populations microbiennes dans les laits de fromagerie. Il y a 30 ans, le niveau était de l’ordre de 100 000 à 150 000 UFC pour les laits de mélange dans les fruitières. En 2000, nous étions tombés à 85 000 UFC en moyenne. Nous voulions enrayer cette chute qui risquait d’être préjudiciable à terme à la qualité et la typicité des fromages. Le lait doit être fromageable, et il doit apporter la flore microbienne positive pour élaborer les spécificités sensorielles de notre produit AOP. C’est notre objectif fondamental.
Comment s’est opéré le passage de 4° à 12°C ?
Il s’est fait progressivement de 2000 à 2013, avec une accélération du processus à partir de 2006. Nous avons renoué, en fait, avec la pratique ancienne des « coulées » : traditionnellement, les éleveurs venaient livrer eux-mêmes leur lait encore chaud à la fruitière, à une température de l’ordre de 18°C selon la distance qu’il avait à parcourir. Il a donc fallu régler et suivre les températures des tanks à lait.
Quels ont été les effets de cette mesure ?
Nous n’avons pas inversé la tendance, mais ralenti la baisse. De 2000 à 2013, nous sommes passés, pour les laits de mélange dans les fruitières, de 85 000 UFC à 70 000 UFC au moment de la mise en cuve (au maximum 24h après la traite), en observant une diminution des écarts saisonniers. On pense désormais être en capacité de maintenir ce niveau de flore microbienne dans le lait par le maintien des bonnes pratiques en élevage.
Quel est le niveau dans les fermes ?
On est passé de 15 000 UFC en 2006 à 17 000 en moyenne en 2014, sous le simple effet de la remontée de température, et ce sans aucun ajout de ferment. La durée de 24 h qui sépare la traite de la mise en cuve en fromagerie constitue une prématuration naturelle à 12°C qui permet de maintenir et même de légèrement multiplier le niveau de flore totale du lait.
Comment avez-vous géré le risque microbiologique ?
Cette démarche révèle les défauts microbiologiques susceptibles d’être endormis à 4°C. On a dû travailler en amont sur les bonnes pratiques d’élevage pour ne pas avoir un déséquilibre de la microflores, car à 12°C, cela ne pardonne pas. C’est pourquoi il est capital de travailler,en amont, sur la salle de traite et les aires de paillage par exemple, pour bénéficier d’une flore naturelle riche et maîtrisée, fondamentale en lait cru.
Un vrai savoir-faire s’est mis en place sur plus de quinze ans. Nous faisons de l’écologie microbienne dirigée. Des travaux de recherche ont été menés sur les réservoirs de flore microbienne en élevage : l’ambiance, les machines à traire, les matériaux, les aires paillées, etc.
Nous empêchons le réflexe de tout désinfecter. Cela génère un travail d’accompagnement et de surveillance dans les tanks mais aussi dans les élevages. A titre préventif, nous avons mis en place un système d’alerte sur certaines flores indicatrices d’hygiène (les Ecoli, les Clostridium notamment…). Un service spécialisé visite régulièrement les élevages pour maintenir les bonnes pratiques.
Quels sont les résultats sur les produits ?
Les professionnels disent ressentir un vrai bénéfice. C’est une mesure qui les a obligé à penser "filière" et "bénéfice pour la qualité des fromages" car c’est bien la flore microbienne positive présente naturellement dans le lait cru qui permet à la filière de garantir la spécificité sensorielle du Comté.