Jean-François Combes
« Trop de fermiers sont dans une dérive industrielle »
Formateur en technologie fromagère au CFPPA-ENILV d’Aurillac, spécialiste de fabrication fermière, Jean-François Combes décrypte l’évolution des pratiques fermières.
Comment se pose la problématique des laits pauvres et de la recherche de typicité pour les fermiers ?
Pour la grande majorité d’entre eux — j’en reçois quelque 300 en formation chaque année —, la recherche de typicité est loin d’être une obsession. Leur préoccupation majeure, c’est l’hygiène, la régularité des produits afin d’en faciliter la commercialisation. Seule une petite proportion, positionnés sur un segment de niche haut de gamme, placent la qualité organoleptique au centre de leurs priorités.
Quelles sont les pratiques d’ensemencement pour les uns et les autres ?
On peut distinguer trois grandes approches. Une première est spécifique au monde des appellations d’origine et, plus largement, à l’univers des signes de qualité et des démarches collectives. Les critères de qualité et d’expression du terroir sont ici importants. Ces fromagers adaptent leur process à la matière première tout au long de l’année. Ils recherchent un produit régulier mais acceptent des variations de goût, de texture. Ils utilisent ainsi plus volontiers des souches spécifiques à leur appellation, telles que celles que fournissent les souchothèques d’ODG ou de laboratoires spécialisés. Par exemple, ici, à Aurillac, le LIP fournit de ferments destinés à certaines AOP.
La deuxième est celle des fermiers qui ne possèdent pas d’AOP ou autre signe de qualité (souvent fournisseurs de la GMS) et qui cherchent un produit standard. Ils essaient donc d’atténuer les effets de leur terroir : ils recourent le plus souvent aux ferments du commerce en forte dose, utilisent des recettes existantes, ne veulent pas laisser de place à l’incertitude.
Enfin, une approche beaucoup plus empirique (« recette de grand-mère »), très minoritaire, laisse faire la nature : ces fermiers-là n’ensemencent pas, ne font même pas de repiquage, laissent la coagulation s’opérer sous l’action uniquement de la présure. D’où des égouttages longs et des affinages longs. Il faut pour cela disposer de laits assez riches et traiter plutôt de petits volumes. Ces professionnels sont souvent aussi des adeptes du circuit court.
Les fermiers ne perdent-ils, peu à peu, sous l’effet de la pression sanitaire, leur originalité ?
C’est une tendance de fond : les techniques de fabrication fermière prennent de plus en plus pour modèle le monde industriel et ses pratiques : raccourcissement des temps de travail, mécanisation, désinfection, affinage court… Une majorité de fermiers travaillent désormais à des températures plus élevées et mènent une acidification très rapide. Les flores ont moins le temps de s’implanter et de se développer.
Nous autres, enseignants, portons sans doute une part de responsabilité : nous avons participé à l’arrivée des règles industrielles dans les fermes. Il faut revoir cela, réinventer une façon d’enseigner la technologie fermière, encourager l’adaptation aux situations plutôt que mettre en œuvre des recettes stéréotypées. Se remettre dans le bon sens, en comprenant la matière : c’est ainsi que l’on peut recouvrer plus de goût et de typicité.
Quelques producteurs osent mettre en place de nouveaux procédés de fabrication avec l’idée « de faire parler leur lait », d’élargir le patrimoine fromager. Au sein du CFPPA-ENILV d’Aurillac on essaie d’apporter un soutien pédagogique pour leur montrer les mécanismes de la transformation en lien avec la nature du lait mis en œuvre, et l’effet « milieu ». On prépare le terrain pour retrouver de nouveaux produits typés en lien avec leur terroir.